25/04/2024 MÉXICO

Corps masculin, vêtement féminin: l’homme kurde habillé en femme

Being a women is not a way for humiliation
Kurd Man For Equality: «être femme ce n’est pas un instrument d’humiliation»

Un châtiment inattendu


Lorsque le juge de Marwian, une petite ville du Kurdistan iranien d’environ 100 000 habitants, prononçait  le verdict contre trois accusés, il ne pouvait surement pas imaginer que la portée de sa décision irait s’étendre non seulement au-delà de la région, mais dépasserait aussi les frontières de son pays.

Contrairement au passé, cette fois-ci ce n’est ni la condamnation à la peine de mort, ni la lapidation qui provoqua la réaction d’une partie de l’opinion publique aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. Le 15 avril, un des trois hommes condamnés a été obligé de se déguiser en tenue traditionnelle féminine kurde et exhibé dans les rues de la ville. Dans une vidéo publiée sur le net, on peut constater que plusieurs voitures de police ont escorté le condamné lors de l’application de cette soi-disant punition qui est considérée par les autorités iraniennes comme une sorte d’humiliation publique:

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Le contrôle du corps féminin

Dans la société iranienne, comme dans tous les autres pays majoritairement musulmans, il est très important de réaffirmer de manière permanente la distinction homme-femme par les vêtements. Cette différenciation exagérée des genres par le vêtement provient du souci de maîtrise du corps féminin. Dans une telle vision si le corps des femmes n’est pas encadré il peut affaiblir la volonté de l’homme de ne pas commettre de pêchés. Il n’est donc pas surprenant qu’une sorte de hiérarchisation des corps se produise. Le corps féminin considéré inférieur à celui de l’homme devient un champ où le pouvoir entre les deux sexes se joue. On peut donc comprendre pourquoi dans cette culture lorsqu’un corps masculin est exposé dans une tenue féminine, les gens le comprennent comme une humiliation. En fait, le détenteur d’un corps masculin déguisé en femme est infériorisé et donc « déshonoré », car il ne mérite pas de posséder, même si ce n’est qu’à titre provisoire, le corps supérieur c’est-à-dire celui de l’homme.

L’opinion publique se manifeste: Kurd Man For Equality

La réaction de la population locale et notamment des femmes de la ville fut immédiate. Le lendemain de l’événement, un groupe de femmes kurdes vêtues des habits rouges traditionnels ont défilé dans les rues pour contester cette condamnation sexiste ressentie comme une véritable humiliation de l’identité féminine. Pour ces manifestants cet acte signifiait le réincrimination de la femme par les autorités. Le rassemblement de quelques centaines de manifestants fut rapidement réprimé suite à l’intervention des forces de police.


Vu la progression de l’activisme virtuel kurde durant ces dernières années, la contestation ne tarda pas à se propager dans l’espace des réseaux sociaux. Au début un internaute kurde, en signe de sympathie avec les femmes kurdes, s’habilla en vêtement féminin et depuis le phénomène se répande rapidement sur Internet. Actuellement, les photos des hommes kurdes habillés en femmes circulent sur facebook et une campagne de solidarité à l’identité féminine se poursuit par les internautes.

Photo: Mirjamali
Photo: Mirjamali

En l’espace de quelques jours, presque 9000 personnes ont partagé leurs photos et commentaires sur l’événement. La campagne rebaptisée «Kurd Man For Equality» est loin de se cantonner aux Kurdes. En choisissant les slogans comme : «être femme ce n’est pas un instrument d’humiliation», la campagne attire vite l’attention de personnes appartenant à des autres nations ou communautés.

Même si le phénomène est loin d’atteindre à telle portée à l’intérieur du pays, des actions sporadiques de petits groupes se produisent. La raison de cette propagation limitée de la contestation, pour une partie, se trouve dans la mise en œuvre d’un système militaire et sécuritaire au Kurdistan Iranien. Pourtant, dans les villes de Mariwan et de Mahabad des groupes d’amis vêtus en femmes se prennent en photos à l’extérieur de la ville ou à l’intérieur de la maison pour participer à une action transfrontalière qui ne semble pas s’arrêter dans un futur proche.


Face à ces événements qui se développent de plus en plus vite, les autorités iraniennes ne sont pas restées indifférentes. Dans un premier temps, 17 parlementaires iraniens, dans une lettre adressée au ministère de la Justice, demandèrent une explication sur ce sujet en précisant: «un tel comportement avec les voyous et les vermines, c’est une injure contre le vêtement des femmes chastes et vertueuses».

Il faut rappeler que selon les différentes estimations entre 9 et 13 millions de kurdes vivent au Kurdistan iranien. Comme ce fut aussi le cas pour les Kurdes d’Irak, de Syrie et de Turquie, depuis la division du Kurdistan après la Première Guerre mondiale, les relations des Kurdes avec les gouvernements centraux ont été pleines de tensions et elles ne se sont presque jamais normalisées. Après la révolution iranienne en 1979, les conflits armés se sont produits à plusieurs reprises entre les organisations prokurdes et le gouvernement central. Actuellement, la majorité de ces organisations sont en exil au Kurdistan Irakien ou sur les zones frontalières entre l’Iran, l’Irak et la Turquie. Adaptant une approche sécuritaire sur la question kurde, les autorités iraniennes restent toujours très méfiantes par rapport à toutes les actions revendicatives dans les régions kurdes, qu’elles soient sociales, culturelles ou politiques. Dans ce contexte, la mobilisation initiée par les internautes est interprétée par les autorités iraniennes comme une action «ridicule et maladroite » menée par les séparatistes « sous le prétexte de défendre les droits des femmes kurdes».

Ironie du sort, il semble que contrairement à leurs habitudes, les formations politiques et militaires kurdes ont pour l’instant préféré garder le silence et ne pas s’exprimer sur le sujet. Mis à part de la participation ou les messages de soutien de quelques personnalités politiques, à titre personnel et non pas au nom d’un groupe ou d’un parti politique, en ce moment il n’y aucune prise de position officielle sur ce sujet de la part des organisations kurdes.

La dénonciation du sexisme au pouvoir

Délaissés par les formations classiques de la scène politique kurde et soupçonnés par le gouvernement iranien, les activistes kurdes continuent à dénoncer à leur manière le sexisme du pouvoir. Dans l’action organisée par les hommes kurdes, nous constatons que l’homme se réapproprie l’apparence féminine pour transformer l’image de la femme telle qu’elle est intégrée dans le régime de subjectivité de l’État iranien.

Derrière cette mise en question de la politique sexiste, il y a aussi des enjeux politiques qui se déroulent.  Ces hommes habillés en femmes veulent témoigner que l’époque et la société sont en train de se transformer, alors que ceux qui détiennent le pouvoir dur de la société ne sont pas en mesure de saisir cette réalité. L’action dans son contexte est chargée des symboles contestataires, d’où elle tient sa force déligitimisante vis-à-vis d’un pouvoir frappé par la pénurie de légitimité.


Même s’il est encore très tôt pour définir le contenu de cette action, il est évident qu’on peut la considérer, entre autres, comme une preuve de la transformation accélérée d’une société sous étroite surveillance:

Dans cet événement on peut aussi retracer la genèse d’une nouvelle génération d’activistes kurdes qui n’a besoin ni de la table de négociation ni d’arme pour transformer ce qui appartenait autrefois uniquement à la politique et aux politiciens.

Reste à savoir comment ce phénomène peut résister à l’usure du temps.

Ceci est une explication à but non lucratif

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Massoud Sharifi Dryaz

Doctor of sociology, Researcher I completed my Ph.D. studies at EHESS-Paris (École des Hautes Études en Sciences Sociales). My research interests lie in political sociology, nationalism, social movements, activism, Kurdish space and Middle East. More specifically, my doctoral dissertation entitled: “From Microscopic Resistance to Organized Collective Action: Engagement and Disengagement of the Kurdish Activists” focuses on the appearance, evolution, internal crises and transformations of the Kurdish movement in Turkey.


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